590 autrices au concours d’écriture du collectif Les femmes écrivent le monde de demain du Collectif Sororistas  https://www.sororistas.fr/. C’est formidable cette explosion de talents. Je suis l’une d’elles, et j’en suis fière. 

Avez-vous assisté à la vibrante cérémonie de remise des Prix. Sinon, il est plus que temps de lire les textes des 20 finalistes et de la lauréate Laura Carpentier-Goffre, que je félicite chaleureusement pour son conte “Covid contre Goliath”.  Textes en bas de la page du site https://www.sororistas.fr.

J’ai également envie de partager mon texte qui me tient à cœur, «Enfant, endors-toi », Écrit en juillet,  il a d’autant plus de sens que je viens d’apprendre que je serai grand mère en Juin, et que je suis doublement heureuse de l’avoir écrit et de le dédier aujourd’hui  à cet enfant qui va naître.

Bravo au collectif Sororistas de sa passion


En l’an 2000, j’avais déjà eu mon compte de terreurs millénaires : Y2K disaient les informaticiens, le début de l’ère du Verseau, disaient les plus ésotéristes. Bref, tout le monde y allait de son fantasme profond. Les Konis l’avaient annoncé. C’est dire !

Et mes filles ayant 10 ans, j’avais stocké honteusement et secrètement, du sucre, du Nutella, des pâtes et du ketchup.  Des nounours à la guimauve aussi. Le bio ne m’était pas encore monté à la tête en ce temps là. Le pire qui nous arriva, cette nuit là du 31 décembre de l’an 2000, fut un réveillon !

Entre temps, la vache fut folle, les oiseaux contagieux, le sang contaminé et le Levothyrox frelaté.

Et j’ai arrêté de vouloir tout prévoir, même les goûters ! Par contre, je ne mangeais plus de  viande, je triais plus ou moins mes ordures, et je m’étais entichée des graines de chia et des amandes.

J’avais aussi perdu une bonne partie de l’usage de mes jambes, sans que cela n’ait rien eu à voir avec le réchauffement climatique. Et comme une fulgurante envie de pisser, je me suis mise à écrire et à chercher le sens de ma vie, de nos vies, à partir des histoires et de l’Histoire.

En 2020, au vu de la série de catastrophes personnelles de 2019, je me suis dit « chouette », une année deux fois 20/20, cela va donner. En effet…

Cela a bien commencé par un plat de lentilles chez Alice le premier Janvier. Tout allait bien. Bonne fortune.

Les médias commençaient à peine à ânonner COVID, un péril jaune? chargé d’animer la vacuité de cette période de l’année et qui nous apparaissait gravement gonflé au pangolin.

Le 8 mars à Debout Citoyennes au Zenith de Paris, nous étions 100 femmes à prendre la parole, à nous étreindre, collées les unes aux autres dans les loges, nous riant au nez, avant de monter sur scène devant près de 2.000 personnes. Ce fut la dernière scène publique du Zénith pour de longs mois. Le dernier câlin aussi.

Ce soir-là, un de mes amis est mort de cette drôle de grippe. Je ne riais plus.

Le  17 Mars 2020, le confinement était déclaré, martial, en France, et puis dans le monde. 

Ce premier confinement dura presque trois mois. Et l’impensable arriva : interdiction de sortir, de voyager, de voir nos grand-mères, de voir nos enfants, de travailler, d’aller au bistrot, de se réunir, la vie sociale arrêtée, les commerces, sans nécessités impérieuses, fermés, les échanges et les développements commerciaux gelés, chacun dans sa région et blocus des frontières. Décrété par les hommes.

L’autre était devenu un danger potentiel, l’humanité atomisée en souches postillonnaires probables. Puis, à l‘été 2020, on s’en est allé « clusteriser », ô le vilain mot, qui n’a de joli qu’un éventuel passé cistercien, bien autre.

Ce 28 mars 2030, j’ai 75 ans, trente dans ma tête. Toi, tu veux venir au monde.

Je ne vais pas te raconter à nouveau ce que nous venons de vivre. Il est tant de barbons qui voudront encore, sous peu, t’inculquer leurs analyses structurées et fumeuses. 

Alors que, sache-le, le secret de l’incarnation ne réside pas  dans la seule connaissance, certes nécessaire, du passé et des faits, mais bien davantage dans l’expérimentation par soi-même, dans la route, par le chemin. Ce chemin que j’ai pris, cette place que j’ai su revendiquer.

Enfant qui va naître, c’est de ton incarnation dont je parle. Ta route de briques jaunes !

Nous, l’humanité, sommes toujours là.  Comme depuis le début des temps, l’humanité, quasi identique, immuable, quelles que soient les avancées technologiques et scientifiques et les débats métaphysiques et philosophiques.

Fini l’âge – qu’il soit des cavernes, des lumières et de la machine à vapeur-, enterrés les rois maudits, la tête de veau Gribiche et l’ordinateur personnel, oubliés les trente glorieuses, Facebook et la voiture à essence, les villes sont différentes, les infrastructures sont différentes, les vies quotidiennes sont différentes. Mais nous persistons à ne voir que ce que nous connaissons, nous cédons à la nostalgie, nous nous illusionnons encore d’un âge d’or passé.  Ne te laisse pas engluer à refaire plus de ce qu’on a connu, invente. Imagine.

Le monde ne change pas, pourtant  il avance, par paliers, avec de belles dégringolades. On disait, en mon temps,  qu’on restait quelque temps dans la case Prison, sans toucher 10.000 francs (francs ? oublie !). Ce sont des étapes, le monde est en travaux, c’est un grand chantier perpétuel.

Oui, le monde n’a pas changé alors que tu viens à lui en cette année 2030. 

Il s’est juste clivé un peu plus entre deux pôles, deux tendances, deux espérances, sans qu’on ne sache encore quelle obédience – la dominante ou la collective – pourrait  prendre la main finale, Et si nous pourrons ou non nous rassembler authentiquement  dans un projet fédérateur et constructeur, et jouissif. Je t’expliquerai un peu plus tard ce dernier terme dans toute son acception, c’est promis : pour l’instant, profite encore de la paix amniotique !

En effet, j’ai, nous avons connu le monde « d’avant », mais le monde d’après est curieusement toujours en gestation. 

Quoi qu’on ait pu espérer d’un changement immédiat et confinant au miracle fin 2020, il ne s’est pas fait, il ne sait se faire. La gestation du monde se fait dans l’éternité. Les femmes, tes mères s’en doutaient. Les pères le savent désormais.

Nous sommes des animaux si entêtés, bornés par nos croyances, et attachés à nos expériences et territoires, encore, et toujours. Il nous faut du temps. En 10 ans, nous avons juste appris à nous allier, femmes et hommes, pour retrouver notre profonde humanité, dans un respect mutuel de nos souffles identiques et différents, dans des rythmes qui nous sont particuliers et complémentaires, pour pouvoir aujourd’hui te donner une chance.

De fait, qu’est-ce que 10 ans, sur une histoire de l’humanité de tant de milliers d’années.

Quelle outrecuidance que la nôtre, de penser faire mieux en si peu de temps, le temps insignifiant d’une vie, d’une génération éphémère.

L’urgence, me diras-tu un jour : elle est insuffisante pour balayer radicalement les « ismes » en tous genres de ces deux derniers millénaires, les mauvais plis ont la vie dure !

Et pourtant la terre tourne, la terre est belle encore, en rémission, bien qu’ayant déjà perdu de ses couleurs, comme un tableau pas encore restauré, une encre pâlie devant des agressions impitoyables et dévastatrices.

Il y a toujours la lumière, parfois frileuse, parfois violente, et la beauté de l’aube.

Et puis, il y a l’autre, cet Autre, avec lequel c’est encore si difficile de communiquer et de construire ensemble. Cet autre qui est une part de nous-mêmes que nous peinons à accepter. Mais avec lequel peu à peu, nous convenons d’une proximité, d’une identité commune, d’une complémentarité, d’une alliance. Que nous commençons à connaître et reconnaître. Dont nous devenons responsables, que nous ne pouvons plus laisser sur le chemin ou sur des rives dangereuses, ou déplacé dans des zones d’ombre et de misère. Nous avons tous le droit à la vie. Ensemble.

C’est dans cette marche ensemble, dans cette acclimatation à l’existence de l‘autre, dans cette amitié pour ce qui nous unit, et aussi pour ce qui nous différencie, que nous avons fait le plus de progrès depuis 2020. Lentement, à petits pas !

Anima et animus intégrés, complémentaires et paritaires, pour tresser ton berceau.

Loin des grands projets, des belles théories et des conglomérats  économiques et politiques  – et d’ailleurs, pourquoi différencier les deux qui ne sont que les faces d’une même médaille-, pas par de grands mouvements, des envolées lyriques. Non, dans l’intime, les micromouvements, le discret, le profond, par petites touches doucement invasives.

Femmes et hommes, Humains de bonne volonté.

Oui, c’est dans dans la proximité, l’intimité, la délicatesse, l’écoute, l’attention, le sensible, c’est là où a germé l’ébauche du monde « d’après ».

Ayant tout perdu de nos points d’appuis confortables et de nos certitudes absolues en cette prolifique année 2020, nous avons pu apprendre à nous relier, à nouveau, mais millimètre par millimètre, avec lenteur, et ressentir à la fois nos nouveaux équilibres et notre précarité.

La distanciation sociale n’a pas eu raison de notre désir commun : Ensemble. 

L’air à respirer communément a eu beau se révéler potentiellement viral, il est venu un souffle plus grand pour nous englober et nous nourrir, un appel d’air, une envolée,  qui, comme une vague, nous ont propulsés dans un trampoline de joie, excités comme des enfants devant un nouveau jeu.

Je pourrais, enfant, te conter le bon et le mauvais, le joli et le désespérant, l’ouverture et l’enfermement de ces années-là. Des histoires tristes, des histoires lourdes, mais ce ne sont que des historiettes, n’y prête pas attention !

Qu’importent les étapes, les reculs, et même les avancées, qu’importent les outils, les moyens et les peurs terribles, et les pertes : il y a eu vie, il y a eu mouvement. Il  y a eu désir, il y a eu choix, et un autre monde est inéluctablement en gestation, alors que tu nais en 2030.

Aucun d’entre nous ne sait prédire ta vie, comme nul n’a su prédire les nôtres. Et c’est bien ainsi.

C’est à toi qu’appartient le présent, et ton futur.

Par contre, ce dont je suis certaine, quel que soit ton pays -si tu as un pays-, quelle que soit ta race -si tu en as une-, quel que soit ton genre – et ta sexualité, quelle que soit ta culture que tu dessineras, quelle que soit la société dans laquelle tu vivras, que tu influenceras, quel que soit le climat, dont tu ne me tiendras peut être pas rigueur, et avec ce qui est dans ton berceau, mais aussi tout ce que tu contribueras, c’est que nous t’attendions. Bienvenue.

Tu es profondément, merveilleusement humain, tu es un cadeau que la vie apporte à notre histoire de l’Humanité, que je vais devoir abandonner dans quelques temps, à mon grand regret, car elle m’enchante.

Ce matin, ta mère va te donner la vie, une vie parmi celle de milliards d’êtres humains, qui se succèdent depuis des millénaires, de siècles en siècles. Une vie unique. Une vie comme tant d’autres aussi. Ta vie.

Et ce fil qui nous rend humain, c’est l’amour que tu vas recevoir, le regard émerveillé de tes parents, ta joie confiante d’oisillon à les percevoir, la caresse d’une main, d’un doigt, le chant d’une berceuse, des mots aimants babillés à ton oreille, la profondeur de ton sommeil, et ta plénitude une fois nourri par tout cela et dans ton corps.

2030, cela n’évoque rien pour toi, car tu es innocent et vierge des savoirs que tu découvriras.

Tu es l’espoir, tu es la vie.

Enfant, rendors-toi, je veille sur toi.

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