Depuis 10 ans, et peut-être comme beaucoup de personnes confrontées à l’#épreuve, je suis adepte de la pensée magique.
Celle qui m’a fait répondre, il y a 10 ans, le 14 octobre 2014, à ceux qui m’assénaient sur un lit d’hôpital : « vous êtes paraplégique, vous ne remarcherez probablement pas » : je serai debout à nouveau, je vais remarcher !

Cette pensée qui, également, a susurré dans mon oreille : « gros bazar, ça ne va pas être évident, je vais trouver des solutions comme d’habitude ! Et surtout, la paraplégie, ce n’est forcément pas pour toujours, transitoire, une peine de quelques années, dix ans peut-être. Je vais un jour me lever et ne plus avoir mal, et retrouver ma mobilité totale, et mon indépendance. Je vais sortir seule à nouveau, danser, courir, partir le sac au dos dans des endroits improbables, visiter le monde, m’asseoir sur un rocher à l’aube ou sur le sable au coucher du soleil, prendre un enfant dans mes bras et courir avec lui, ressentir l’élan d’une danse à deux, me baigner dans un torrent, marcher sur les chemins de Compostelle, choisir et prendre des fruits dans un marché, les emporter, grimper à une échelle, manger les baies de l’arbousier, m’allonger sur une plage à volonté et courir dans l’eau, nager, monter dans un bus, marcher des jours durant avec des amis, aller au concert dans la fosse, promener un chien, rejoindre quelqu’un au bout du monde, porter des paquets aux autres, choisir mon jour, mon heure, mon envie et la réaliser. » Et là, la pensée magique a totalement failli, l’autonomie n’a plus jamais été ma compagne.

Cela fait 10 ans. Je suis handicapée.


Je suis debout, je me déplace, mais avec la maladresse des premiers pas d’un enfant, les bons jours ou la lourdeur d’une vieillarde, les autres. Surtout, je suis toujours dépendante, douloureuse, incapable de sortir ou de voyager seule, ni de répondre à la plupart de mes désirs, sans demander, quémander, espérer, prier, ou recourir à des aides diverses.
Je ne compte plus depuis dix ans l’énergie et les efforts que j’ai consacrés à retrouver une vie. Je comprends mieux la phrase sèche, épitaphe de ma rhumatologue au pied de mon lit il y a dix ans : « ça va vous coûter cher le #handicap ». Oui, au propre et au figuré, qu’il soit visible ou devenu quasi invisible et d’autant plus pervers, comme le mien.
J’ai découvert qu’il est illusoire la plupart du temps quand on est à charge, d’espérer être pris en charge, protégée, entourée d’affection, d’attentions, et que vos efforts et vos difficultés soient compris et allégés par la présence et la tendresse, la fidélité dans l’intention, la compassion aussi.
Il y a des moments et des personnes miraculeuses et je n’ai pas encore saisi pourquoi si peu, en fait. Pourquoi le lien à l’autre se distend si souvent dans l’épreuve : peur, superstition, projection, égoïsme, surcharge émotionnelle et mentale, valeur perdue, valeurs disparues, lassitude, mille hypothèses toujours, et juste la certitude que cela m’affecte un peu moins qu’au début.
Je sais que je me dois de continuer à construire sur ce qui m’a réparée néanmoins : écrire, partager, aimer, croire en l’humain, le soutenir comme je peux, dire vrai, rester verticale dans mon être, avec l’horizontalité d’une connexion avec les autres. Habiter mes mots et les offrir.
C’est un cercle vertueux, miraculeux que nous dessinons ensemble avec certains et qui m’a permis de me tenir debout, d’avancer, d’accepter mon isolement et d’apprendre de ma solitude. Gratitude.
Un cercle qui se perpétue par moments avec intensité et dans des cheminements que je n’avais même pas imaginés ces dix dernières années. Et c’est son empreinte, intimement inscrite en moi, qui me soutient aujourd’hui et me fait garder espoir.

Ce cercle de retour à soi, de réparation – ma #résilience, pour certains – est fragile : mon cercle de Vie a été dévoré au beau milieu de son élan, par de nouvelles épreuves sordides. En moi, se sont déchirés et combattus, mortellement, cercle vertueux et cercle vicieux. La nuit noire de l’âme a réussi à assombrir ma lumière profonde, à briser ma joie, ces dernières années.
C’est un secret que je vous livre : quand l’ombre féroce vient emprisonner et éteindre votre lumière, on est seul. L’entourage, les réseaux sociaux ne retiennent de nous que le Soi parfait que nous y présentons, ils occultent la vérité et la vulnérabilité et l’ambivalence de l’être profond, que le roi soit nu et fragile n’attire pas la sympathie, ni la popularité.
Il m’aura fallu dix ans pour allumer ma lumière de vie, faire encore face à mes ombres revenues avec véhémence, enfin défendre mon existence de chrysalide qui virevolte comme une libellule, et me libérer du poids du passé et des pertes.

Mon deuil de tout ce qui n’est plus étant fait, je reprends ma route, j’en dessine les pavés et les dépose sur le lit de beautés et de faiblesses.

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