BLM

Black lives matter :

“I can’t breathe.” – Eric Garner, New York City, July 17, 2014 

“Je ne peux pas respirer.” – George Floyd, Minneapolis, May 25, 2020

Je ne peux pas respirer. Moi non plus.

 

Les souvenirs remontent.

 

Un lien tissé à 16 ans de pure amitié : la rencontre de mon amie de cœur, Meryanne Loum-Martin, la sœur dont je rêvais, présente, mais pas collante, vive et sensible, ambitieuse et aimante, énergique et éthique. Nous vivons dans des pays désormais différents, prises par nos vies. Mais si l’une a un bonheur ou un chagrin, c’est avec l’autre qu’elle le partage. Ma sœur de cœur est franco sénégalaise, américaine par son mariage.

Mon premier amoureux, Mono,  merveilleux, étudiant comme moi à Aix en Provence dans les années 75, était quant à lui, d’une grande famille marocaine, et la façon dont il était traité en préfecture lorsqu’il faisait faire ses papiers, m’a révulsée. Cela le faisait sourire, moi pas.

Mon amie haïtienne, Muriel, étudiante elle aussi, était aussi belle que fragile, et des blagues racistes, autour d’une rencontre en amphi,  mettaient plus que mal à l’aise. Le souffle court, ne pouvant respirer Nous fulminions ensemble

Quelque temps après, un dîner chez des gens «si bien» et violemment anti-sémite, que j’ai gâché, en me levant et leur expliquant que j’étais a minima « juive honoris causa ». Comme le Christ d’ailleurs !

A  Marseille, un an plus tard, nous nous promenions un jour de printemps ensoleillé en ville, j’avais 23 ans. Avec une autre amie Marie G: devant nous courait son fils de trois ans, plein de joie, adorable. Deux dames de s’exclamer : « Et dire que ce charmant négrillon, va devenir un affreux grand noir ». Je ne respire plus. Nous sommes restées, sa mère et moi, coites de stupeur.

C’était une réalité de la France des années 80.

Puis les angles se sont arrondis, les propos désobligeants ont choqué,  sont devenus presque inaudibles, nos vies ont évolué, ensemble. Du moins je le croyais.

Je ne vois plus de problèmes. Vivant dans un milieu bienveillant, éduqué, international, je ne voulais pas les voir.

Pourquoi je vous dis cela, aujourd’hui, moi qui suis  blanche, née en France ? Au nom de qui ?

Voyez-vous, ma famille et mes proches,  ce sont eux, qui ne respirent plus aujourd’hui !

J’ai longtemps passé du temps aux États-Unis, autour de l’an 2000, travaillant pour IBM, entreprise dans laquelle la tradition de chances égales et de non discrimination n’était pas un vain mot (Lettre J.Watson 1953). Politique de diversité structurée et quantifiable, notamment vis à vis des femmes, mais également pour  toutes les appartenances : “races”, cultures, orientations sexuelles.

Et  malgré tout cela, encore de longues discussions à NYC avec mes amies cadres de haut niveau noires,  sur l’importance comparée d’être femme et d’être noire, la hiérarchie des appartenances dans le pays du rêve américain. Je l’entendais, sans en saisir pleinement les subtilités du débat mais j’en prend d’avantage conscience à l’heure du mouvement Black lives matter.

Enfin, me dites-vous à nouveau, ma légitimité pour me lever et porter ma voix ? Elle vient de loin. C’était il y a bien longtemps.

C’est une histoire de famille, ambiguë, comme celle de toutes les familles.

Elle remonte à un Jean Baptiste La Fonta, Conseiller royal en 1746 qui eut, je crois, neuf enfants : l’un : Philibert partit pour les Etats Unis et résida en Louisiane, Jean Hilaire partit pour la Martinique, peut-être Cuba, et y mourut en 1854. Et enfin deux autres frères Jean et Jean Baptiste émigrèrent pour Saint Domingue.

Ces deux frères, nés dans le sud ouest de la France, partirent cultiver des terres à Saint Domingue. Ils y fondèrent des familles, y moururent et y furent enterrés. Et leurs enfants, et leurs descendants continuèrent à porter le nom de La Fonta qui devint Lafonta

A un moment, mes ancêtres, mes cousins quittèrent Saint Domingue. Par des chemins compliqués, ils débarquèrent, notamment en Louisiane, à la Nouvelle Orléans, où ils immigrèrent définitivement, assumant tous les boulots disponibles et difficiles pour de venir citoyens américains : les LaFonta de New Orléans, entre autres.

Nous sommes dans les années 1930 – 40, on imagine alors bien volontiers que ce n’était pas facile d’être noir américain, fraîchement immigré, et de s’appeler LaFonta dans un pays où l’abolition de l’esclavage datait du 18 décembre 1865. En Louisiane, où les plantations veillent, telles des témoins de cette histoire douloureuse.

Dans ma famille en France, on est un peu curieux, mais pas trop de cette branche de la famille.

Vous imaginez dans le paysage de l’époque, les grandes guerres, la décolonisation.

D’autant plus prudent  que ces voyages, dans les îles et  le nouveau Monde, sont souvent liés dans certaines familles du sud ouest  à des commerces triangulaires et autres, et que donc, par ailleurs, dans notre même famille, le passé peut avoir été lourd à porter. Et compliqué à révéler.

Mon père, né au début du XX eme siècle, avait envie de savoir, quand même !  Il aimait le jazz, mais préférait nonobstant que sa fille épouse un blanc. Avec ses certitudes,  il a écrit une lettre au consul à la Nouvelle Orléans sur sa machine à écrire manuelle,pour savoir comment contacter ces Lafonta inconnus. Il n’eut jamais de réponse et en fut agacé. Des années plus tard, j’allais apprendre que sa lettre avait été lue, mais que les Lafonta  américains  n’étaient pas, alors, trop enthousiastes de renouer avec la famille blanche la Fonta

Et pourtant ces  terres à Cuba et à Saint Domingue bercèrent  mon enfance de rêves perdus.

Puis le monde devint autour de l’an 2000 accessible pour et par tous, grâce à Internet. Plus de secrets de famille ! Ou presque.

Ainsi arrivèrent en France en 2013, à la maison ; chez moi à Paris,  mon cousin Juan LaFonta et sa sœur Dana..

Et en ouvrant la porte de chez moi pour les accueillir, ces gens dont je ne savais rien, j’ai su instantanément que je venais de compléter ma famille.

En un instant, sentir que nous sommes si proches , sans savoir rien les uns des autres, avec tant de différences, mais aussi une intimité naturelle et profonde qui fait que nous n’avons besoin de rien nous dire, et aussi envie de passer des heures ensemble à tout partager et échanger mille histoires et mille détails. Éblouis de bonheur.

Alors, voila ma réponse,  ma famille est noire et blanche.

Juan LaFonta, sa famille, son père George LaFonta, sont ma famille.

Juan est plus jeune que moi. il est avocat plaidant à la Nouvelle-Orléans. Il a été élu à la Chambre des représentants de l’État en 2005. Entre autres choses. Comme moi, il aime les gens, faire la fête, rencontrer les autres, les aider, partager.

Juan, ce pourrait être George Floyd. Et c’est un des miens, comme lui.  George Floyd est l’un des siens, et l’un des miens. Forcément

Si Georges ne respire plus, Juan ne respire pas,ma famille ne respire pas, je ne respire pas. Si George ne respire plus, notre famille entière ne respire plus.

Quand je suis malade, Juan, lui,  vient des Etats Unis à Paris, illico.

En 2015, quand je suis devenue paraplégique après un accident opératoire, Juan est venu passer quelques jours à Paris,  juste pour fêter mon anniversaire.

Quand j’ai été capable de tenir debout au printemps 2017, avec mon mari et une de nos filles, nous nous sommes envolés pour New Orléans. Que nous avons découverte avec Juan.

J’ai rencontré ses parents, sa mère Joanna et son père George.

Et dans les bras de George,  j’ai senti cet amour qui nous unit, à travers les siècles, les “races” et les continents.

George avait une lettre pour moi, celle qu’avait écrit 20 ans plus tôt mon père au consul de la Nouvelle Orléans, que George avait reçue, mais à laquelle il n’avait pas souhaité donner suite, alors. Il l’avait transmise à son fils qui m’a ensuite retrouvée en 2013.

Se promener avec Juan dans Nola est une expérience inouïe. Déjà, à l’aéroport, nous découvrions sa tête sur des panneaux d’affichage gigantesques : à coté de sa photo, était inscrit son numéro de téléphone pour le joindre, notamment  pour tout problème racial ou communautaire. Lawyer aux Etats-Unis, un métier très américain et engagé.

Et dans le tramway ou dans  la rue, Juan, qui est reconnu  dans  sa communauté notamment par des clips vidéos commerciaux qui ont fait le tour de l’Amérique – jusqu’au show d’Ellen de Generes -, Juan est fêté, contacté, félicité, admiré. Et il aime tant les gens. Cela bavarde, échange et vit. Chaleureusement.

Alors quand je vois régulièrement aux actualités toute cette succession d’exactions envers les citoyens noirs, américains ou d’autres nationalités, voire de nationalité française, c’est moi qu’on agresse toujours et encore davantage, désormais. Black and white lives matter.

Comme pour mes amies et amis d’enfance et d’adolescence.

Exactement avec eux et elles. Meryanne, Muriel, Marie, Mono, hélas disparu.

Et le chagrin de Juan est le mien, sa rage aussi ! Aujourd’hui, dans notre famille, personne ne respire.

Et la vie brisée de George Floyd me remplit de larmes. Ce pourrait être mon George LaFonta , ou Juan ou Dana.

Il y a une semaine Juan m’a appelé, triste et blessé. Il voulait mon avis sur des messages vidéo, en préparation, auxquels il contribue pour sa communauté, mais aussi pour tous les citoyens américains qui luttent pour le mouvement Black lives matter , quels que soient leur “race”, leur sexe, ou leurs convictions.

Pour dire haut et fort : nous sommes là pour faire que cela n’arrive plus et construire ensemble un monde plus juste. Un monde où, en famille ou pas, tous respirent, librement. Black lives matter – All lives matter

Nous sommes une famille.

Nous sommes un.

 

Nadalette La Fonta

Cet article est illustré par la très belle œuvre de mon amie Laetitia de Gaulle

 

Nadalette La Fonta :

Site https://www.nadalettelafonta.com/

TEDx: Rien ne nous arrive par hasard  https://www.youtube.com/watch?v=8S8mie3bwtw

https://www.facebook.com/nadalette

https://www.instagram.com/nadalettelf/

https://www.linkedin.com/in/nadalettelafontasix/

https://twitter.com/nadaletteLFS

 

Juan LaFonta:

https://en.wikipedia.org/wiki/Juan_LaFonta

https://www.lafontalaw.com/

Black voices New Orleans https://youtu.be/d4r4kLTlG9Ywww . BlackVoicesNewOrleans.com

Juan LaFonta ft. Big Freedia –  https://www.youtube.com/watch?v=J0Wgz7auLAk

https://www.youtube.com/channel/UCmQa2Eebb70psmqIgPcH0DA

 

MeryAnne Loum-Martin :

https://www.essence.com/lifestyle/boutique-hotel-jnane-tamsna-marrakech-morocco-black-woman-owned/

https://www.societegenerale.com/en/strengh-of-africa/instants-africains/meryanne-loum-martin

https://www.youtube.com/watch?v=SoB7HV2s9WY&t=46s

Meryanne Loum Martin, Jnane Tasma. Tribute to Leila Alaoui, photographe et vidéaste  https://www.youtube.com/watch?v=nnCLDmm3vgI

https://www.instagram.com/jnanetamsna/

 

Laetitia de Gaulle:

http://www.laetitiadegaulle.fr/

https://www.instagram.com/laetitiadegaulle/?hl=fr

 

Partagez si cet article vous fait réagir ! 🙂