Il y a des millénaires de cela, vers 2010, un contemporain me susurrait ces mots doux « Et toi la retraite, c’est pour bientôt ? »

Je restais coite. La retraite ? De quoi parlait-on ? D’un séminaire spirito/New Age pour cadres ? D’une fresque napoléonienne ? Non, insistât-il, l’air navré, TA retraite : Ce moment que nous désirons tous, ce Graal, et où « On va enfin profiter ». Ne plus travailler. Et de me détailler une existence paradisiaque consacrée au golf, au bridge et aux voyages – dans des contrées ensoleillées, mais attention bien pourvues question sanitaire-. Plus que quatre ans, savoura t-il, et peut être moins avec un PSE, avec un peu de chance, plus tôt. C’est vrai que sa vie actuelle, enfin toute sa personne, ne m’avait jamais fait rêver ! Mais là, j’étais simplement à des années lumières de son meilleur des mondes.

Oui, travailler différemment m’interpellait, travailler aussi sur des sujets qui m’intéressent davantage que les seuls résultats commerciaux trimestriels de mon employeur ou la subtilité du web marketing.  Oui, cela me titillait : principalement parce que ces sujets qui réjouissaient d’autres personnes – et c’est fort honorable-, ne me faisaient pas vibrer, et m’étaient tombé dessus, sans que je les recherche, que je me sente concernée, au hasard d’une carrière de bonne élève. Mais cela ne justifiait pas d’une désertion sociale ! Ni d’envisager une retraite, un « Game over » si vous préférez.

Puis, un chasseur de tête remit le couvert quelques temps après : « Avec 3 enfants, un démarrage de carrière à 20 ans, vous avez tous vos trimestres, vraiment envie de continuer à bosser ? ». Oui, justement, car j’ai des enfants, parce que j’aime créer, imaginer, apprendre, découvrir, faire jaillir, innover, changer, transformer, connaitre, rencontrer ! Et bon sang, j’avais quoi, 55 ans, une super forme, un esprit aiguisé, une masse de connaissances, une puissance de travail efficace incroyable, et l’expérience, et la conscience en plus, j’étais au mieux de mon existence professionnelle, et capable de tout faire, super bien !

Aux abris, si vous le voulez,  jeunes retraités éreintés, pas moi ! Oui, je pourrai m’arrêter, mais pas trop envie. Alors, la retraite, jusqu’à quel âge, dites-vous qu’on peut s’accrocher ? 70 ans. Parfait. Et après, je continuerai en indépendante. Pas de souci.

Et je voyais mes collègues partir à la retraite, et ne plus revenir : avalés dans leurs statuts d’a juste titre “retraités”. Certains avaient des velléités de conseil, mais du coup, plus le temps, plus la niaque, pas les réseaux, plus suffisamment au fait du jour. Bref, Exit.

Cela me faisait froid dans le dos, cette exclusion consentie. La retraite n’était pas pour moi.

Un jour, en 2014, j’ai eu un problème de santé grave, qui a débouché sur une paraplégie, neuf mois d’hôpital, trois ans de maladie longue durée.

Un confinement de neuf mois, à l’hôpital, handicapée, à expérimenter la dépendance, physique et sociale, l’étrange et complexe statut de malade, et le dévouement protecteur des soignants. Et puis, deux autres années de longue maladie et de retour progressif vers une vie civile. Et enfin, la clôture légale de ces trois ans de maladie longue durée, à l’issue desquelles  mon employeur m’a très correctement contactée :

Que voulais-je faire, revenir avec tous les aménagements possibles pour mon handicap, ou prendre cette retraite à laquelle j’avais droit ? L’idée de revenir en entreprise, désormais loin du top de mes capacités physiques ne me plaisait guère. J’aime me savoir efficace et indépendante. Avoir accès pleinement, et avec le minimum de contraintes. Etre à une place qui me convienne.

J’ai choisi la retraite. Sans regret, librement, sereinement, alors, tourné la page. En 2017.

Mais, surtout, décidé de faire un virage professionnel total, réaliser le rêve de mes 18 ans, devenir écrivaine et conférencière. Et on va dire que cela ne m’a pas trop mal réussi.

Question lien social, j’ai même passé la surmultipliée, et j’ai pu, en respectant mon rythme de vie, et mes contraintes de santé, retrouver une puissance de travail et de création, qui me convient et m’amène énormément de bonheur et, je l’espère, une vraie utilité sociale.

Devenir écrivaine, réaliser ainsi le désir oublié de mes 18 ans. Et faire de mon livre « Le roseau penchant»  le socle de prises de parole sur des thèmes plus universels tels que la résilience, l’épreuve, le sens à donner à sa vie, le respect et l’amour de soi, l’alignement cœur, corps et esprit, avec les autres, et leur partage à l’occasion de grandes occasions inspirationnelles tels qu’un TEDx, les ReStartAwards, Debout Citoyennes d’Eklore et Diversidays entre autres.

Jusque là, tout va mieux, tout va bien. Jusqu’au 17 mars 2020.

J’ai 65 ans. J’avais rejoint début Mars, comme prévu de longue date, ma résidence de Charentes Maritimes, où je suis en confinement, comme bien des trentenaires, et avec eux également, parce que je crois inconscient de prendre des risques de contagion et d’en faire prendre aux autres. Je respecte strictement le confinement comme tout le monde, et je contribue virtuellement autant que je peux.

Je sais ce que je fais, je suis attentive, vigilante et citoyenne.

Et puis est arrive ce p…. de débat: « nos aînés » : 

Sympa, oui, je m’en fais pour ma tante de 95 ans que j’adore.

Ah non, m’a dit Anne Marie, c’est toi, c’est nous, au bas mot 50 ans chez les hommes, 60 ans chez les femmes, les aînés, mis de coté, quasi enfermés dans leur chambre comme les pensionnaires des EPADH. Je tombe du placard ! Avec et comme Anne- Marie, Claude, Muriel, Laurence, Martine, Christine et bien d’autres. On est même toutes et tous d’accord, avec Jacques, Jean François, Philippe, Pierre et Paul.

D’autant plus qu’entourée de plus jeunes, ils me veulent également tout ce «bien», et ne voient pas le problème : «D’abord, tu ne vas pas prendre de risque». Eux, me savoir confinée, indéfiniment, cela les rassure presque ! J’en balbutie que, depuis fort longtemps, je sais parfaitement gérer cela sans votre aide ou votre avis, merci ! Et puis, cela dérape : « les vieux », – ça y est, on ne parle plus des seniors, des quinquas, des aînés-, “ça choppe tout, et après, cela va à l‘hôpital ou c’est contagieux”. Et l’hôpital, il est saturé, cela coûte cher, les soignants sont épuisés. Alors, vos gueules, les vieux !

Bon, je schématise un peu, mais quand même !

Mais, cela me fout les jetons, une société où on décide pour moi, d’où je vais vivre, quand je vais sortir, de ma liberté de circuler, de mes droits, de ma Liberté, de mon droit inaliénable à décider pour moi même. Et cela parce que je suis née en 1955, alors que je suis parfaitement saine de corps et d’esprit. Enfin, autant qu’eux et vous, ni plus, ni moins !

Et franchement, si j’ai les jetons, vous devriez tous avoir aussi les jetons, parce que si cela commence par nous, par l’aliénation de notre liberté, ce n’est pas bon signe.

Pas un bon signe pour toutes les minorités, avec des besoins d’aide, parfois spécifique, qu’on évaluera, budgétera, et ensuite décidera pour eux que faire et si allouer. S’ils se soumettent aux normes. Pas à la Loi, mais à la règle de caste. Pas un bon signe pour la démocratie, pas bon signe pour la liberté, pas bon signe pour la fraternité, pas bon signe pour l’égalité !

Oui, je le sais : vous ne nous voulez que du bien. Mais respectez avant tout notre droit à l’auto détermination, notre droit de vivre et de mourir comme nous l’entendons, où nous l’entendons.

Et soyons clair, n’espérez jamais me ranger proprement dans un coin, isolée comme Suzanne dans votre EHPAD ! N’espérez jamais que je reste branchée à crever, parce que votre protocole le permet et m’y oblige. N’espérez pas non plus me débrancher, parce que vous estimeriez que j’ai fait mon temps et que ma vie ne vaut plus d’être vécue. Je garde mon droit de décider ! Vieille ou pas, handicapée ou pas, je suis libre ! Et j’entends le demeurer.

Et cette éventualité a suscité un tel tollé qu’au final, à nous les plus de 60 ans, il a été conservé nos droits paritaires à ceux de tous et reconnu notre discernement à disposer de nous même.

Nous devons demeurer vigilants et profiter de cette crise, et de cette montée d’inquiétude, pour faire avancer et ré ancrer la place et l’importance  de l’humain et de ses droits de son premier à son dernier jour. C’est une crise humaine, existentielle, et les opportunités sont une possibilité véritable de faire bouger les lignes du monde de demain vers une meilleure humanité.

Mais profitons en pour pousser le bouchon du vivre Ensemble et de la convivialité un poil plus loin :

Si dans votre entourage, vous avez une personne handicapée ou âgée ou fragile, le truc, c’est de ne pas la parquer dans un coin isolé, où elle ne vous dérange pas, loin de vous, et sous un plaid à carreaux, en la réduisant surtout au silence ou à l’absence de lien et d’attention, exilée , ostracisée.

Non, le truc, c’est de la regarder dans les yeux, de l’écouter et de l’entendre, de demander ce dont elle a besoin, de prendre sa main, en temps ordinaire. Et sans relâche, de l’aider à oser, à ressentir, de lui donner le goût de vivre, de l’intégrer, de la respecter et de l’aider à sortir de toute prison – celle d’un corps, celle de l’esprit, celle de l’exclusion sociale,  de la solitude -.

Et de la soutenir, avec légèreté et cœur, en l’installant, au milieu de vous, comme le roi ou la reine qu’ils n’ont jamais cessé d’être, et que vous aviez juste oublié de considérer.

Au nom de la peur, de la peur de l’autre, de la peur d’aimer, de la peur d’aider, de la peur de souffrir, la peur d’être touché, la peur d’être contaminé, de la peur de mourir qui nous font nous geler à l’autre, et fermer nos yeux pour ne pas ressentir et ne pas donner notre cœur. Mettre un voile opaque sur le miroir où cet autre se reflète et nous inflige notre finitude. Et céder à cette peur intense et sournoise nous fait quitter le banc des humains civilisés pour rejoindre une cohorte d’êtres en fuite, confinés émotionnellement, absents à l’essence de l’humanité.

Au lieu de vivre ensemble et partager ensemble le bon et le plus difficile.

En agissant certes comme un aidant, ce contrat de base de l’altérité, le minimum existentiel, et surtout en nous conduisant en aimant, ce stade ultime de l’humanité.

 

 

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